DHL Africa eShop, plateforme e-commerce pleine de promesses à son lancement, a décidé de fermer boutique. Elle l’a annoncé aux visiteurs de son site web avec ce message : « Nous n’acceptons plus les commandes et ce service sera fermé à compter du 30 octobre 2021. Toutes les commandes en cours seront expédiées ou remboursées. Désolé pour tout inconvénient que cela pourrait causer. » Comme nous l’avons fait remarquer quand nous en parlions pour la première fois, cet arrêt des activités est surprenant. DHL Africa eShop semblait très bien partie. Mais il faut reconnaître que, contrairement à ce que de nombreux acteurs internationaux donnent l’impression de croire, l’e-commerce africain n’offre aucune certitude de réussite.
DHL Africa eShop avait beaucoup pour plaire

Le lancement de DHL Africa eShop en 2019 avait confirmé à plus d’un observateur que le potentiel du e-commerce en Afrique était bien réel. Annoncée un jour à peine avant l’introduction en bourse historique de Jumia, la nouvelle plateforme faisait figure de challenger de haut rang pour la multinationale cofondée par Jeremy Hodara. Les arguments ne manquaient certainement pas pour soutenir cette thèse.
Elle était le fruit d’un partenariat XXL entre DHL et MallforAfrica, deux entreprises dont elle a profité des points forts. La première mettait à sa disposition une structure de livraison pour acheminer les marchandises à domicile, de près ou de loin. La seconde, un service white label dénommé LinkCommerce. Grâce à cela, dès ses débuts, DHL Africa eShop permettait à plus de 200 détaillants américains et britanniques de vendre des produits sur 11 marchés de consommation africains.
Loin de se contenter de la même présence régionale que Jumia, l’eShop a rapidement investi d’autres pays. En sept semaines d’opérations, DHL a étendu la plateforme à neuf autres pays à travers le continent. Cela faisait suite à une « croissance impressionnante » de l’utilisation de l’application Africa eShop. C’est ce qu’avait affirmé Hennie Heymans, CEO de DHL Express Afrique subsaharienne. En août 2019, la plateforme avait été déployée dans 34 pays d’Afrique subsaharienne.
L’adoption rapide du service est à attribuer à une proposition de valeur relativement intéressante. Parmi les centaines de marques auxquelles il donnait accès, il y avait Amazon, Ralph Lauren, Gap, Carter’s ou encore Nordstrom. Grâce à eux, les utilisateurs de l’eShop avait le choix entre des milliards de produits. En plus de cela, l’expérience proposée était remarquable selon certains. Un reviewer du site Dignited affirme avoir pu acheter et expédier des produits d’une valeur de 200 dollars d’Amazon vers l’Ouganda en un temps record de sept jours. Une performance permise par la riche et vaste expérience logistique de DHL en Afrique. Le reviewer a trouvé les prix de shipping appliqués justes, les estimant entre 8 et 20 dollars par kilogramme. Au cours de ces deux années d’opérations,
DHL Africa eShop s’est également fait remarquer par des actions promotionnelles de grande envergure. En novembre dernier, la saison du Black Friday a été l’occasion pour la plateforme d’offrir plus de 3 milliards de produits, avec des remises sur les articles les plus vendus comme les iPhones, Samsung et autres smartphones, les appareils Echo d’Amazon, les articles Adidas, Michael Kors et d’autres marques de mode, les projecteurs, les caméras de sécurité, les consoles de jeux, etc.
Cet ensemble d’éléments était de nature à lui permettre de connaître à l’échelle continentale le succès d’un acteur local comme OuiCarry (Sénégal). Mais la réalité est bien là. DHL Africa eShop n’est plus en service.
La fin d’une histoire aux raisons inexpliquées

A ce jour, l’Afrique attend encore les raisons officielles de cette cessation d’activité. Elle n’a d’ailleurs pas été très médiatisée ce qui fait qu’il y a certainement de nombreux utilisateurs qui ont dû être surpris de se voir rediriger vers le site de DHL Express en essayant d’aller sur celui de l’eShop. Cette situation donne naturellement lieu à de nombreuses interrogations et suppositions chez l’ensemble des acteurs connectés de près ou de loin à la plateforme.
Au regard du but premier de toute entreprise, il est pertinent de considérer que la fermeture de DHL Africa eShop est due au fait qu’elle n’était pas rentable. Si c’est le cas, cela n’a rien d’étonnant. D’aucun dirait même qu’il aurait été naïf de s’attendre à ce que les profits aient été au rendez-vous si tôt. Il est vrai que l’Afrique est le continent de tous les fantasmes, l’une des régions où l’on trouve le prochain milliard de consommateur à servir et un marché sur lequel tous les géants mondiaux essayent d’assurer une position dominante.
Dans le e-commerce, cette mentalité est parfaitement illustrée par la hype autour de Jumia. Son statut de licorne, son IPO pour ne citer qu’eux lui ont valu le surnom d’Amazon africain, ce qui est curieux quand on sait que ce sobriquet ne plaît pas à tous ces cadres et que la société américaine fondée par Jeff Bezos a longtemps évité le continent.
Après plus de 10 ans d’activité, Jumia n’est toujours pas rentable. Au cours de son histoire, la société a désinvesti et s’est retirée de plusieurs marchés. Sa communication auprès des investisseurs de Wall Street est une invitation à effectuer un long voyage, surtout depuis le choc provoqué par ses performances pendant la première année du Covid-19. Là où la pandémie a permis à Amazon ou encore Alibaba de réaliser des ventes et bénéfices stratosphériques, Jumia n’a pas fait preuve de la même réussite que ces mastodontes. Et cela s’est senti sur le cours de son action.
Dans le même registre, on se souvient d’Afrimarket, startup e-commerce aux ambitions similaires qui a déposé le bilan bien qu’ayant levé jusqu’à 20 millions d’euros. Personne, aujourd’hui, ne peut s’enorgueillir d’avoir trouver la recette pour réussir dans l’e-commerce africain. Le continent n’offre absolument aucune certitude et n’est clairement pas fait pour les impatients.
C’est d’autant plus vrai pour un acteur avec le positionnement de DHL Africa eShop.
Plus que n’importe qui d’autre, DHL Africa eShop n’aurait pas pu réussir à court terme

L’Afrique a un futur économique qui s’annonce radieux. Néanmoins, son présent est encore à l’image de son passé. La classe moyenne sur laquelle les entreprises et les Etats comptent pour voir décoller les niveaux de consommation est encore en construction. C’est elle, ainsi que le très petit nombre de CSP+, qui constituent la seule demande viable pour le secteur de la vente au détail transfrontalière en ligne. Car si l’on peut trouver corrects les prix pratiqués par DHL, ils demeurent trop chers pour la vaste majorité des Africains.
En outre, le Covid-19 a porté un coup dur à leur pouvoir d’achat et la vitesse de croisière économique pré-pandémie ne sera pas retrouvée de sitôt. Plus qu’avant, les gens ont accordé la priorité aux produits essentiels, privilégiant les offres locales. Les effets mélioratifs de la crise, notamment une plus grande prise de conscience de l’importance du numérique et l’adoption accélérée des moyens de paiement sans numéraires n’ont pas suffi pour contrebalancer cet état de fait. Ils indiquent malgré tout que le commerce électronique connaîtra des heures glorieuses à l’avenir.
Par ailleurs, il y a un paramètre que DHL Africa eShop a probablement sous-estimé : le niveau d’alphabétisation numérique. Malheureusement pour elle, sa plateforme était loin d’être facile à aborder pour beaucoup. Même les personnes habituées à faire des achats en ligne devaient nécessairement apprendre à l’utiliser, au moyen de tutoriels pour l’application et le site web. Ce dernier n’était d’ailleurs disponible que sur Google Chrome, éliminant de facto les millions de personnes qui ont choisi Opéra. En Afrique, ce ne sont pas les success story de personnes illettrées qui manquent. Bon nombre d’entre elles ont donc été perdues à cause de cela. Ou, du moins, l’eShop ne leur a pas laissé le temps de devenir ses clients.
La morale de cette affaire tient en un seul mot : patience. L’Afrique est en chantier et il ne faut pas s’attendre à ce qu’elle donne quoi que ce soit à ceux qui ne sont pas prêts à participer à son évolution de façon vraiment active. Cela passe par des essais, erreurs, douleurs pour, à la fin, toucher au succès.