Il y a une pénurie qui touche tous les pays du monde, même ceux dont l’économie est solide. Il s’agit du manque d’ingénieurs en informatique. Ces derniers sont une véritable denrée rare que les Etats et les entreprises ont intérêt à voir se multiplier dans un contexte de quatrième révolution industrielle. Le besoin est immense et urgent, surtout depuis que les mesures liées aux coronavirus sont p mis en lumière le caractère essentiel de la digitalisation. Holberton School a vu le jour, pour répondre à ce déficit d’ingénieurs en informatique. Afrique IT News a eu l’occasion de s’entretenir avec l’un de ses cofondateurs, le très passionné Julien Barbier. C’est avec une excitation et un optimisme contagieux qu’il nous a parlé de son secteur, de sa société et du futur de l’Afrique.
Julien Barbier : Initialement Holberton c’est un réseau de franchises qui s’appelle Holberton School, qui sont des écoles pour former des ingénieurs informaticiens de très haut niveau, du niveau de la Silicon Valley, n’importe où dans le monde et en seulement 1 an et demi avec aucun prérequis pour les étudiants. Et la particularité d’Holberton c’est qu’il n’y a pas de professeur ce qui permet à n’importe qui d’ouvrir une école sans avoir de background technologique et ce qui permet de pouvoir faire croître le nombre d’étudiants assez rapidement puisqu’aujourd’hui la grosse problématique pour les écoles d’informatique classique c’est que tout est basé sur le professeur mais le problème c’est que dans beaucoup de régions y compris aux Etats-Unis, il n’y a pas assez de professeurs de computer scientists car ils sont tous débauchés par les Google et les Facebook qui triplent leur salaire. Il n’y a personne en fait pour enseigner l’informatique. C’est un gros problème auquel on s’est adressé aux Etats-Unis et un peu partout dans le monde, d’abord en Amérique latine et depuis deux ans en Afrique.
La deuxième partie de la présentation d’Holberton c’est qu’on a développé énormément d’outils et de curriculum qui couvrent toutes les spécialisations : fintech, blockchain, intelligence artificielle, etc. Et en termes de software on a créé un curriculum qui est basé complètement sur le projet puisque les étudiants qui vont devenir des ingénieurs en informatique, ce qu’ils vont faire c’est créer des programmes toute la journée et résoudre des problèmes. Ils n’auront jamais quelqu’un pour leur dire quoi faire. C’est très important qu’ils fassent des projets et on a créé un software qui corrige automatiquement tous les projets. C’est pour cela qu’aujourd’hui n’importe qui peut créer une école Holberton aujourd’hui. Et on a créé d’autres outils comme celui qui permet de voir s’il y a des gens qui trichent… Ce qui s’est passé en fait avec la crise du Covid, c’est qu’on a eu des partenaires qui sont venus et qui en général ne voulait pas forcément ouvrir une école avec tout le package qu’on offrait. Ils avaient déjà des écoles ou étaient des entreprises qui voulaient reformer en interne ou des gens qui voulaient lancer des programmes en ligne. Ils ont alors dit : “Nous, on a besoin de ton curriculum et de tes outils mais pas forcément de la brand. Donc ce qu’on fait aujourd’hui c’est qu’on accompagne ces partenaires pour créer les formations dont ils ont besoin en fonction de leurs spécificités et de leurs localités. Tout le monde a des besoins qui sont grosso modo les mêmes mais avec des spécificités qui sont un peu différentes. En gros on a la franchise Holberton School plus tous les outils qu’on a développé pour cette Holberton School et qu’on apporte aussi à nos partenaires qui ne veulent pas faire d’Holberton Schoolmais qui veulent créer leurs programmes ou amplifier leurs programmes par exemple pour des universités qui ne veulent pas remplacer leurs professeurs mais qui veulent que ceux-ci puissent donner plus de projets à leurs étudiants. Les professeurs adorent ça mais ils n’aiment pas les corriger car ça prend énormément de temps. Ce qui se passe en université c’est que tu as peut-être 10 projets dans l’année alors que nous on en a quelque chose comme 150. Ils étendent en fait l’impact des professeurs et c’est un win-win car ce que les professeurs aiment c’est enseigner et pas corriger et les étudiants ils adorent faire les projets donc tout le monde est content.
Afrique IT News : Au départ vous aviez des campus physiques et après vous avez décidé de vous en séparer. Je souhaite comprendre les raisons de cette décision et comment elle vous a impacté.
JB : Le réseau de franchises Hoberton c’est que du physique et ce sera toujours que du physique. Maintenant comme tu le sais nous sommes en plein Covid donc il y a certains pays qui ont des restrictions à cause desquelles on est obligé de passer en ligne. Une fois que le Covid sera parti dans ces régions là les étudiants reviendront on-site. Par exemple pour parler Afrique, c’est le cas de la Tunisie. Elle a toujours été on-site, la problématique du Covid est arrivé donc ils ont dû fermer l’école donc nous on a fourni tous les outils pour qu’ils puissent continuer en ligne et une fois que le Covid était parti, ils sont revenus. Après ils ont eu un cas Covid et ils ont refermé et ils sont à nouveau revenus. En fonction des régions comme en Amérique latine où le Covid est extrêmement fort, par exemple en Colombie, on est toujours pas retourné en présentiel mais ce qu’on a réussi à faire c’est un partenariat avec WeWork. Les étudiants peuvent y aller et travailler ensemble. Mais le réseau Holberton School c’est que du physique. Après on a des partenaires comme je te le disais qui veulent lancer des programmes en ligne mais ce n’est pas du Holberton School. Dans ce cas, s’ils veulent faire du online ils font du online, s’il veulent faire du physique ils font du physique. Nous on est juste là pour les accompagner avec nos outils, pour faire ce que eux ils veulent. Mais HolbertonSchool, c’est que du physique avec le bémol du Covid.
AITN : Comment le modèle d’affaires a touché les investisseurs qui ont injecté 20 millions de dollars dans Holberton récemment ? Au-delà de cela, quels sont les atouts que vous avez mis en avant lors de cette ronde de financement ?
JB : Je pense que la première chose à comprendre ce sont la macro-économie et les macro-dynamiques du monde d’aujourd’hui. Grosso modo, c’est ce que les investisseurs regardent en premier lieu. Est-ce qu’il y a un potentiel sur cette boîte ? Est-ce que le marché est gros ? Il y a plusieurs niveaux de réponse. Le premier c’est qu’en fait on est dans un monde où toutes les sociétés deviennent des sociétés informatiques. Tout le monde devient une société technologique car si tu ne deviens pas une société technologique, il y a de grandes chances que tu disparaisses. Dans ce contexte-là, il y a un besoin en informaticiens qui est juste énorme et qui va croître sûrement à plus de deux chiffres tous les ans dans les 10 prochaines années d’après les prédictions. Ce qui s’est passé avec le Covid, c’est que tout ça a été accéléré. Quand tu regardes toutes les tendances, celles d’ordre technologique ont été accélérées par le Covid. On est à un point d’inflexion, sur le point d’avoir une explosion de la demande d’informaticiens. Il n’y avait pas assez d’informaticiens avant, dans aucun pays. Aucun pays ne forme assez de vrais ingénieurs en informatique. Donc, il y a une guerre des talents existante et elle va être multipliée par 10. On le voit déjà aux Etats-Unis où les gens sont payés à la sortie d’écoles comme Stanford plus de 100 000 dollars alors qu’ils ont zéro expérience. Tout le monde s’arrache les ingénieurs. J’ai des amis qui ont trois ans d’expérience et qui touchent 250 000 dollars par an. Il y a eu une guerre de talents parce qu’il n’y en a pas assez. Il y a une macro-tendance concernant le fait qu’il faut plus d’ingénieurs en informatique. Il y a de grosses problématiques qui n’étaient qu’au niveau des sociétés avant mais qui arrivent maintenant au niveau des Etats. Il va y avoir une guerre absolument immense avec énormément de budgets qui vont être dégagés et c’est déjà le cas avec l’Europe et les Etats-Unis. L’Europe, l’année dernière, a voté un budget d’un milliard de dollars pour investir dans des solutions de formation différentes. En même temps on est sur un problème macro-économique parce que si jamais tes sociétés n’arrivent pas à créer les produits dont elles ont besoin pour rester compétitives sur le marché, elles meurent. Si jamais les régions et les pays n’arrivent pas à former assez de talents pour aller à la guerre économique avec les autres, ça ne va pas marcher. Si on veut rattraper des économies comme les Etats-Unis ou même la Chine, il va falloir investir plus dans la technologie. Il y a des Etats qui l’ont très bien compris, il y en a d’autres qui ne le comprennent toujours pas et qui vont le comprendre. Le niveau de guerre économique va monter, amplifier encore plus la guerre de talents et les besoins en ingénieurs informaticiens. Maintenant, il y a plein de solutions pour se former. Nous on est sur de la très haute qualité. Ça nous prend un peu plus de temps pour former que des gens qui font des programmes en trois mois mais le niveau est extrêmement plus élevé. Les étudiants restent en moyenne entre un an et 18 mois chez nous. Une fois qu’ils ont trouvé un job à plein temps, la moyenne des salaires aux Etats-Unis est à 104 000 dollars. Ce qui, en gros, est l’équivalent de quelqu’un qui fait quatre ans de computer science à Stanford. On rivalise, en un an et demi, sans background, avec les Ivy leagues de la Silicon Valley. Les gens qui ont pris nos étudiants, en premier lieu, c’était que des boîtes de la Silicon Valley. On a des étudiants chez Tesla, Facebook, Googel, etc. C’est en voyant ce qu’on arrivait à faire que les partenaires sont venus nous voir pour nous demander : “Est-ce qu’on peut faire la même chose dans notre pays ? Nous aussi on veut avoir des ingénieurs au même niveau que ceux de la Silicon Valley car on en a besoin pour aller chercher une économie de croissance.” Quand tu mets tout ça bout-à-bout, tu arrives à un marché colossal, avec une société comme Holberton qui a une expérience assez grande et qui a développé un bagage technologique formant une espèce de “mode technologique”. Ca représente une barrière à l’entrée assez compliquée pour les compétiteurs potentiels. C’est une des raisons pour lesquelles ils ont misé sur nous.
AITN : Pour vous faire payer, vous prenez bien une partie du salaire des étudiants une fois qu’il travaille ?
JB : Quand on a commencé c’est ce qu’on faisait. Il s’agit d’un Income Share Agreement (ISA). Cela permet d’aligner complètement les objectifs de l’étudiants avec ceux de l’établissement scolaire, ce qui est un des problèmes aux Etats-Unis. Nos premiers partenaires ont pu répliquer cela dans leurs pays mais ce n’est pas forcément le cas parce que dans certains pays c’est interdit. Notre but, c’est d’ouvrir l’opportunité d’une éducation de qualité au plus de monde possible. On ne veut pas forcément faire de l’ISA. L’important au niveau du partenaire, c’est qu’il ait une stratégie pour faire en sorte que n’importe qui puisse venir faire cette éducation de qualité. S’ils peuvent et veulent faire de l’ISA, ils le font. Des fois, ils font un partenariat avec les gouvernements et ceux-ci payent en partie l’école. D’autres fois c’est avec les banques qui mettent sur pied de nouveaux produits financiers. L’idée, c’est vraiment d’ouvrir au plus de monde cette éducation de qualité.
AITN : Lors de ta présentation tu as parlé de la moyenne des salaires à la Silicon Valley. Pour quelqu’un qui a étudié en Tunisie, au Nigéria ou à Madagascar et qui compte travailler dans son pays, comment cela se passe-t-il ?
JB : Je ne dis pas que n’importe qui dans n’importe quel pays va être payé à 100 000 dollars. Ce que je dis, c’est que nos premiers résultats avec les écoles aux Etats-Unis, les salaires moyens sont équivalents à ceux des meilleurs établissements de la Silicon Valley et que les premiers partenaires qu’on a eu qui sont en Colombie, les salaires moyens sont bien au-delà que ceux de la meilleure université du pays. Si les étudiants sont très motivés et qu’ils arrivent au bout de notre programme, il y a de très grandes chances que ce soit le cas aussi dans d’autres pays. Ce n’est pas une affirmation mais, à priori, c’est ça la tendance. Maintenant, ce qui se passe et qui est très intéressant, c’est que certaines personnes vont rester sur place et travailler dans les entreprises locales, ce qui va créer un écosystème local et d’autres vont aller travailler à distance pour des sociétés soit européennes soit américaines, ce qui est déjà le cas aujourd’hui. En Tunisie par exemple, on a des gens qui sont partis en Espagne et travaillent dans la banque Satander qui est une des plus grosses banques de l’Espagne et de l’Europe. Cela montre le niveau de qualité. Cette banque est venue chercher nos étudiants en Tunisie pour remplir leurs besoins en informaticiens de haut niveau.
AITN : Holberton est aujourd’hui en Tunisie, en Afrique du Sud, à Madagascar et dernièrement en Égypte. Pourquoi avoir choisi ces pays-là et quels sont ceux visés par la suite en Afrique ?
JB : En général, on vise des pays qui sont à forte croissance, où on a le plus de chances de pouvoir se développer et de répondre aux besoins de nos partenaires. Ensuite, c’est aussi un mélange avec les opportunités de partenariats qu’on peut avoir aujourd’hui. L’idée ce n’est pas de se développer à tout prix mais de le faire en aidant des partenaires qui sont solides. Il y a un choix des partenaires et ça peut prendre plus ou moins de temps. La Tunisie a été un premier pas en Afrique pour tester avant d’aller un peu plus loin. Les choses se passent très bien. On a ouvert en septembre 2019 avec eux et ils ont déjà dû augmenter la capacité de leurs locaux parce qu’il y avait trop de demandes. Les premiers étudiants ont été placés à 100 % dans des boîtes locales et à l’étranger. Ce qui prouve que le système marche. De-là, on a commencé à parler avec l’Egypte, le Ghana, la RDC, etc. En fonction des partenaires et de la grosseur, ça avance plus ou moins vite. Il y a aussi des différences de vitesses entre les partenariats avec des acteurs privés et ceux avec potentiellement des gouvernements qui vont plus lentement. D’ici la fin de l’année, je pense qu’on aura 10 écoles en Afrique.
AITN : Vous essayez de répliquer tant bien que mal votre modèle dans chacune des régions où vous vous implanter. Mais il y a forcément des différences plus ou moins importantes entre elles. Pour Holberton, qu’est-ce qui fait la particularité de l’Afrique ? En comparaison avec les Etats-Unis, l’Europe, l’Amérique latine.
JB : Nous accompagnons des partenaires. On ne considère pas que l’on sait ce qui se passe en Afrique, dans tel pays. Déjà l’Afrique, c’est énormément différent d’un pays à l’autre. On parle d’une région africaine mais les besoins et contextes sont très différents entre les pays. Ce qu’on sait c’est que ce qui marche, c’est la pédagogie. On accompagne nos partenaires qui eux sont les spécialistes de chaque pays. Ce j’ai noté par rapport à ce qu’ils font, par rapport à d’autres partenaires aux Etats-Unis par exemple, les prix ne sont pas les mêmes, ce n’est pas possible. Idem pour les difficultés et les besoins. Aux Etats-Unis, on n’avait pas besoin de donner d’ordinateurs aux étudiants. En Afrique, on en a eu besoin. Quand la Tunisie a fermé par exemple, on a envoyé des ordinateurs aux étudiants pour qu’ils puissent travailler de chez eux. Certains d’entre eux n’avaient pas de connexion internet donc on leur a aussi envoyé un accès. Il y a des différences aussi au niveau des comportements. Souvent, en Afrique, il y a beaucoup plus de motivations et de travail effectué par rapport à une moyenne d’étudiants américains. Ce sont des différences notoires et on travaille avec les partenaires pour pouvoir adapter la couche autour du curriculum pour que la livraison du programme soit faite le mieux possible.
Je pense que l’Afrique a un potentiel gigantesque dans cette nouvelle révolution industrielle pour plein de raisons différentes. Il y a une volonté de travailler et de s’en sortir qui est très différente de celle d’une économie de la vieille époque comme l’Europe. Quand tu regardes l’Europe ou même les Etats-Unis, ils ont créé toutes les strates de modernité en fonction du temps. En Afrique, il n’y a pas forcément tout ça, notamment en ce qui concerne les infrastructures. Cela a longtemps été un désavantage mais maintenant, il y a des sauts technologiques énormes qui font que le background technologique devient un boulet pour les Etats-Unis et l’Europe parce qu’ils ont investi beaucoup et il faut maintenant que ce soit rentable. L’Afrique est mobile-first, tout le monde à son téléphone donc personne ne passe par la case ordinateur ou par la case machine virtuelle. Les banques sont sur le téléphone et non pas physique comme on peut le voir aujourd’hui dans les réseaux américain ou européen. Il y a un boom de l’innovation en Afrique. Ce qui lui manque, c’est un pool de talents technologiques. Et on constate à notre niveau que c’est la zone où nous enregistrons la plus forte croissance en termes d’étudiants. A l’ouverture en Tunisie ils étaient à 30 étudiants. En 2020, on en avait à peu près une centaine. Aujourd’hui, ils sont plus de 2 500.