En mars dernier, Jack Dorsey a lancé et clôturé la vente aux enchères d’un objet très improbable : le tout premier tweet de l’histoire. « Just setting up my twttr » (je viens de configurer mon twitter), une phrase valant typographiquement à peine 24 caractères, a été cédée à 2,9 millions de dollars à l’homme d’affaires malaisien Sina Estavi.
Il s’agit de l’opération portant sur un non-fungible token ou NFT. Ces actifs numériques sont une des applications de la blockchain qui rencontrent de plus en plus de succès en ce moment dans le monde. En Afrique, ils en sont à l’heure des balbutiements et font montre d’un certain potentiel.
De l’art élitiste à la démocratie créative

Cela a été maintes et maintes fois dit et entendu mais il n’est jamais inconvenant de rappeler que les technologies numériques ont bouleversé tous les pans des sociétés humaines. Le secteur de l’art en général et visuel en particulier n’a pas fait exception à la règle. Pendant longtemps, il était réservé à quelques élus tant sur le plan de l’offre que de la distribution et de la consommation. Des créatifs talentueux confiaient leurs œuvres à des galeries ou à des salles d’enchères qui se chargeaient de les exposer aux yeux et à l’appréciation d’amateurs relativement fortunés.
Le segment des objets de collection a un peu rompu avec la rigidité de ce circuit surtout en élargissant l’offre dans le cadre d’un modèle C-to-C. L’effet disrupteur s’est intensifié avec Internet. Les galeries ont pris la forme de sites web vitrines et les réseaux sociaux ont aidé de nombreux artistes à devenir populaires et à toucher directement une clientèle plus variée. L’art s’est démocratisé à tous les niveaux, permettant à des millions d’artistes de rêver en grand.
Les NFT sont le nouveau visage de l’art numérique

Un NFT est un actif qui ne peut pas être échangé contre quelque chose qui soit directement de même valeur dans la même classe d’actifs. C’est une richesse unique et irremplaçable. Un tableau est un bon exemple d’actif non fongible car il n’y a pas deux tableaux identiques. On ne peut pas simplement le remplacer par une réplique. C’est le cas des GIF, photographies, mèmes, éléments de jeu, vidéos YouTube, même un simple pixel… A peu près n’importe quelle chose numérique pourrait être un NFT.
Le mot « token » fait référence à un certificat numérique qui est stocké sur une blockchain, une base de données sécurisée et distribuée. Ce certificat est au centre de la notion de propriété en ce qui concerne les NFT. En effet, lorsque vous achetez un NFT, cela ne signifie pas que vous avez seul accès à la vidéo/GIF/image. En fait, même si le NFT est indéniablement détenu, toute personne ayant accès à Internet peut toujours rechercher l’image sur Google, l’imprimer et la coller sur un mur, l’utiliser comme fond d’écran de téléphone, etc.
Cependant, grâce à la blockchain, les acheteurs reçoivent une preuve indéniable car authentifiée, qu’ils sont propriétaires de l’œuvre. Le fichier numérique est intégré avec une signature permanente et une provenance établie qui prouveront, à jamais, le créateur, le propriétaire et les propriétaires précédents du NFT. Rien d’utilitaire, mais la valeur perçue est bien réelle, et on la retrouve chez un écosystème d’acteurs très motivés et, pour certains, très influents.
Leur succès actuel repose sur des pionniers aux profils très divers

C’est ainsi que des tweets comme celui de Dorsey ont pu être vendus. Elon Musk a fait la même chose, un peu après lui, recevant rapidement une offre de 1,1 million de dollars. Des personnalités moins corporate et assez inattendues comme Paris Hilton ont aussi rejoint l’aventure. Célébrité du monde du divertissement, elle a vendu une image numérique de son chat à 17 000 dollars. Des légendes sportives comme Michaël Jordan et des icônes du cinéma comme Will Smith sont allées plus loin. Ces deux stars font partie d’un groupe d’investisseurs qui ont injecté 305 millions de dollars dans Dapper Labs. C’est un fabricant de NBA Top Shot, des items numériques représentant des éléments de valeur sur les joueurs de la ligue américaine.
Plusieurs sociétés du genre de Dapper Labs ont mis sur pied des plateformes, souvent de type marketplace, désireuses de profiter d’un nouveau marché qui valait plus de 183 milliards de dollars en 2018 selon Insider. Des maisons d’enchères de premier ordre comme Sotheby y sont entrées de plein pied. La multinationale Cardano a défrayé la chronique en levant 100 millions de dollars qu’elle compte partiellement utiliser pour percer dans le domaine. Cette entreprise, qui entend se construire un brillant avenir en Afrique, donne de bonnes raisons d’être optimistes sur ce que pourrait représenter les NFT dans les prochaines années. Et elle n’est pas la seule.
Les NFT ont répondu à différents types de besoins sur le continent, surtout dans la sphère caritative. 10 000 avatars créés par l’organisation UltraDAO ont servi a récolté des fonds pour former plus de 1 600 fermiers pour le reboisement de 837 900 arbres dans les pays de la zone subsaharienne. Dans un contexte plus artistique, le cas d’Osinachi mérite le détour. Le jeune artiste nigérian de 29 ans a réussi à vendre des tableaux réalisés avec Microsoft Word à plusieurs dizaines de milliers d’euros. Son succès traduit le statut de leader africain potentiel de son pays en matière de NFT.
Le crypto-art y est de plus en plus prisé. Selon Niyi Okeowo, créateur « afrofuturiste » qui associe photographie, 3D et graphisme, le marché le plus populeux d’Afrique compte une centaine d’artistes digitaux « et la plupart sont inspirés par Osinachi ». Ce dernier a déclaré : » Le Nigeria a le potentiel pour devenir leader du crypto-art en Afrique parce qu’il existe ici de nombreux talents. Rien qu’à Lagos, l’énergie créative est bluffante. » Par contre, il faudra aussi compter sur l’Afrique du Sud dont la toute première vente de NFT a permis d’engranger 35 000 dollars.
L’Afrique est aussi caractérisée par plusieurs plateformes marketplace comme AFEN NFT, récemment mise sur pied avec l’aide de Binance Africa. Les Africains ont également accès à Open Sea, Rarible, ou encore Foundation. La créativité de certains a conduit au lancement de DishAfrik, une application africaine créant une collection NFT des 54 meilleures recettes de cuisine de chaque pays africain. D’autres ont choisi de promouvoir l’art tribal avec Mask of Ether, une collection NFT de 10 000 images génératives mettant en scène des masques pixel art, inspirés des masques tribaux ouest-africains.
Au-delà des univers caritatifs et créatifs, les NFT peuvent apporter de belles choses à l’Afrique. Reste à savoir s’ils y seront des révolutions.
L’Afrique sera-t-elle une terre de NFT ?

Le rôle que jouent en ce moment les NFT sur le continent peut être étendu. Ils peuvent impacter plus de domaines vitaux pour lui. Economiquement, ils peuvent aider à la création de nouveaux marchés et ainsi à plus d’entreprises et d’emplois. Les marques peuvent s’en servir pour apporter plus de valeur à leurs clients, surtout dans les industries de la mode, de l’art et du divertissement. Avec ingéniosité, des enseignes comme Stella Artois (brasserie), Toyota (véhicules) et Forbes Africa (média) ont mis sur pied de nouvelles offres ou concepts NFT. Les exemples de succès ne manquent pas et les possibilités paraissent infinies.
L’Afrique peut aussi profiter des NFT, politiquement. Ils peuvent offrir de nouvelles opportunités passionnantes d’auto-gouvernance, répondant aux besoins d’auto-détermination des générations actuelles. Les droits de vote, y compris l’accès et la confiance dans le processus électoral, pourraient être facilités par ces jetons non fongibles, les rendant plus accessibles et renforçant le processus démocratique. Voter via la blockchain pourrait résoudre une litanie de problèmes actuels du monde réel, notamment la fraude ou l’accès aux bureaux de vote électoraux.
Bref, comme toute technologie, les NFT peuvent apporter beaucoup aux Africains si les bonnes applications sont implémentées. Il faut tout de même rester nuancé car l’histoire a prouvé que la réussite est capricieuse, même pour les technologies considérées comme ayant beaucoup de potentiel. Il est donc plus prudent de ne rien affirmer avec certitude.