« Je ne couperai jamais Internet ! » Voici une phrase que nous pouvons affirmer n’avoir jamais entendu prononcée par un politicien africain. Pourtant, les présidents qui se sont risqués à commettre un tel acte ont subi un retour de bâton si fort qu’on croirait qu’ils avaient trahi une promesse de campagne sacrée. Pour s’en convaincre, il suffit d’effectuer une recherche sur le web avec une requête comme « coupure d’Internet au Burkina Faso » ou un hashtag comme #FreeSenegal. Il n’y a pas un Chef d’Etat concerné dont l’image n’a pas été sérieusement écornée.
Internet en général et les réseaux sociaux en particulier sont devenus les nouvelles agoras, des espaces de liberté et d’expression qui rendent les peuples africains plus indépendants que jamais et favorisent l’activisme politique. Contrairement à la radio ou à la télévision, ils ne peuvent pas être monopolisés par les autorités. Celles-ci se retrouvent très vite dépassées par les mouvements de foule qui y naissent, incapables d’en arrêter la progression sans recourir à la censure et aux coupures.
Sur un continent où la démocratie a encore énormément de mal à trouver ses marques, Internet devient ainsi une ressource critique pour l’autodétermination des peuples, un moyen bien plus concret d’exercer le contre-pouvoir populaire que des instances représentatives comme les sénats, congrès et assemblées. On peut alors supposer que les débats présidentiels à venir en feront un sujet central, capable d’emporter la décision de l’électorat si les bonnes promesses sont faites.
Internet porte des enjeux qui vont au-delà de l’utilité médiatique

Internet est un outil d’expression collective et de souveraineté des peuples. C’est clairement le message qu’a envoyé, le 25 juin 2020, la Cour de justice de la CEDEAO en condamnant les autorités togolaises pour les coupures d’Internet survenues en 2017. Cette affaire illustre son pouvoir quel que peu menaçant pour les gouvernements, ce qui est ironique quand on voit leurs efforts actuels pour améliorer la pénétration et la qualité de cette technologie.
Ils sont les premiers à faire sa promotion, celle de l’impact économique qu’elle a et aura, de la facilité et la rapidité des échanges qu’elle permet. C’est en grande pompe que le gouvernement Macky Sall a annoncé l’inauguration du datacenter de Diamniadio en juin dernier. A l’instar des autorités ivoiriennes, il ne manque aucune occasion de rappeler comment ses investissements, notamment dans les TIC, ont permis au pays de la Teranga de connaître une croissance à deux chiffres et de faire partie des économies les plus dynamiques du monde pendant des années.
Un message que les gens ont très bien compris, surtout les personnes qui ont pu le constater dans leur vie. Des emplois ont été créés et des entreprises ont vu le jour grâce à Internet. Des millions d’Africains « mangent » grâce au réseau international et plusieurs autres millions espèrent faire de même. Véritable cœur de l’économie numérique, il est aujourd’hui aussi vital pour nos pays que l’agriculture.
Ce n’est donc pas anodin – vraiment loin de l’être – de couper Internet ne serait-ce que pour une seule journée. On aura beau avancé des raisons de défense et de sécurité comme les pouvoirs publics burkinabés, parler de l’intérêt supérieur de la nation sur le moment, ce ne sera jamais vraiment justifiable. Comment convaincre qui que ce soit lorsqu’on coupe Internet dans un contexte de soulèvement populaire ? Et, politique mis à part, quand de telles coupures font perdre des milliards aux agents économiques ?
Couper Internet n’a rien de positif pour l’image d’un président, à part peut-être aux yeux de ses partisans les plus hardcore. C’est le cas tant sur le plan national qu’international. La plainte déposée contre le Togo à la Cour de la CEDEAO a été formulée par par sept ONG dont Amnesty International. Le président Macky Sall a été personnellement mis en garde par le célèbre groupe de hackers Anonymous qui ne lui a reconnu « aucune excuse pour couper Internet ou blesser les protestataires ». Les multinationales qui investissent massivement sur le continent porte le même discours. Facebook, par la voix de Janet Kemboi, a qualifié, en février, ces coupures de contre-intuitives, violant les droits de l’homme, nuisant à la démocratie, enfreignant la liberté de parole et d’expression… A l’époque, elle a particulièrement pointé du doigt la Tanzanie, le Tchad, l’Éthiopie et l’Ouganda.
Si nos chefs d’Etat aiment bomber le torse quand Moody’s leur accorde des B+, A-, A, ils devraient aussi courber l’échine quand les pays qu’ils administrent apparaissent dans des rapports d’organisations comme celui de l’African Digital Rights Network. Ce réseau panafricain a dénoncé les gouvernements de l’Afrique du Sud, du Cameroun, du Zimbabwe, de l’Ouganda, du Nigeria, de la Zambie, du Soudan, du Kenya, de l’Ethiopie et de l’Egypte. Ceux-ci ont utilisé jusqu’à 115 technologies, tactiques et techniques pour censurer Internet.
Face à une telle situation, un opposant trouvera forcément des oreilles attentives en promettant de ne jamais couper Internet. Toutefois, il ne suffira pas de promettre pour l’emporter. Les belles paroles ne suffiront pas.
Les électeurs ont besoin de garanties

Les assureurs et les politiciens africains ont une chose en commun : les publics qu’ils ciblent ne leur font pas confiance. C’est pour cela que la pénétration de l’assurance est inférieure à 7 % (moyenne mondiale) dans la zone CIMA (Conférence interafricaine des marchés d’assurance), que la Guinée et le Mali sont dirigés par des militaires et que Roch Kaboré a été appelé à démissionner par la rue.
Les Africains sont fatigués des politiciens concis et précis dans leurs critiques et promesses quand ils sont opposants mais très nuancés, voire même muets sourds et aveugles, quand le peuple qui les a élus demande des comptes. Par conséquent, il ne suffira pas aux opposants actuels de se présenter comme des fleurs pour crier la bouche en cœur :« Si je suis président, je ne couperai jamais Internet ! »
Sans mentionner l’impact de leur passé personnel et professionnel sur leur crédibilité, ils devront s’atteler à fournir des garanties réelles. Combien parmi eux sont prêts à proposer une réforme constitutionnelle qui leur enlève tout pouvoir d’ordonner la censure partielle ou totale par exemple ? Sans ce genre de mesures fortes, ils n’arriveront à rien. Ils devront en démontrer la faisabilité en amont car toute l’Afrique a vu le président sénégalais faire un premier mandat de sept années après avoir promis de faire un quinquennat.
La bonne excuse de l’obligation légale ne passera pas du tout. Les gens ne sont plus dupes, surtout les nombreux activistes éduqués, qui savent évaluer un programme de gouvernance.