La Zone de libre-échange continentale africaine (ou « ZLECAf »), effective depuis quatre mois désormais, porte une dimension numérique forte. Celle-ci doit permettre d’accélérer le processus d’intégration économique du continent grâce à la promotion du e-commerce et du paiement numérisé. Pourtant les infrastructures numériques et de cyberdéfenses de nombreux pays ne permettent pas, pour l’heure, d’envisager le succès d’une telle opération.
L’article 3 de l’Accord portant création de la zone de libre-échange continentale africaine fixe l’objectif d’une « ‘Afrique intégrée, prospère et pacifique, telle qu’énoncée dans l’Agenda
2063’, ce qui passe par l’accroissement des échanges commerciaux intra-zones, l’amélioration de l’accès au marché continental africain pour les acteurs extérieurs et le déploiement d’une « économie digitale ».
L’un des projets phares vise à promouvoir le commerce électronique (« e-commerce »), afin de booster les échanges commerciaux intra-africains. Ceux-ci sont de l’ordre de 15% actuellement, pour un objectif de 52,3% à termes, contre 70% au sein de l’Union européenne (UE).
Or, comme le déplorait récemment le Secrétaire Général de la ZLECAf, Wamkele Mene : « beaucoup [d’États-membres de la ZLECAf] ne disposent pas des infrastructures nécessaires pour faciliter le libre-échange ». Un constat particulièrement vrai dans le domaine du numérique et de la cyber-sécurité.
Un niveau de protection cyber faible et un coût de la connexion Internet encore prohibitif
D’une part, la cyber-sécurité est relativement absente de l’accord et des différents projets menés par le Secrétariat Général de la ZLECAf. Pourtant, l’Union Internationale des Télécommunications (UIT) rappelait en 2018 que la plupart des pays africains sont en queue du classement mondial eu regard à leurs engagements et leur état de préparation en matière de cybersécurité.
D’autre part, une majorité des populations africaines (60%) ne dispose pas d’une connexion stable, pour un taux de pénétration de la 3G et de la 4G de 25 % en moyenne, comme l’a rappelé le Directeur Général de Huawei Northern Africa Philippe Wang dans les pages de La Tribune Afrique. En cause, une inaccessibilité financière nourrie par un manque d’infrastructures.
En moyenne, les fournisseurs africains facturent 2,7 euros par gigaoctet (GO), soit 1 700 francs CFA, selon une étude du fournisseur britannique Cable UK. Sur une base annuelle, ce montant équivaut à environ 620 500 francs CFA, pour un revenu annuel par habitant en Afrique subsaharienne évalué par la Banque mondiale à près de 3 000 euros, soit 1,965 million francs CFA. À l’année, le coût de la connexion internet peut donc représenter jusqu’au tiers du revenu d’un individu !
Une situation due au faible niveau de connectivité intérieure des États africains, dont les plus enclavés disposent de réseaux intérieurs sous-reliés aux villes côtières de la région, mieux connectées aux réseaux internationaux de haute fréquence. D’où la nécessité de renforcer le déploiement des réseaux transfrontaliers – un double facteur d’intégration économique et d’accélération de la connectivité à très haut débit.
Le « backbone » Djoliba et la stratégie régionale de cyber-sécurité CEDAO, des avancées dans la bonne direction pour l’Afrique de l’Ouest
Si l’Afrique de l’Est et l’Afrique Australe siègent au rang des bons élèves du continent, l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique Centrale francophones accusent un certain retard. En partie comblé par la mise en service, en novembre dernier, du premier « backbone » Ouest-Africain[1].
Développé par l’opérateur Orange, le réseau « Djoliba »[2] associe 10 000 kilomètres (km) de câbles terrestres et 40 000 km de câbles sous-marins afin de connecter les populations du Burkina Faso, de Côte d’Ivoire, du Ghana, de la Guinée, du Libéria, du Mali, du Nigéria et du Sénégal – soit 330 millions d’habitants. Une initiative qui permettra de décupler la bande passante utilisée par les particuliers et les entreprises de la sous-région et de faciliter leur accès aux services de santé, d’éducation ou encore de cloud computing.
Côté cybersécurité, le parlement de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a récemment adopté sa stratégie régionale de cybersécurité et de lutte contre la cybercriminalité dans l’espace communautaire. L’objectif étant « d’accroître la cyber-résilience dans la région et d’aider les États membres à renforcer leurs capacités de cybersécurité, à protéger leur cyberespace et leurs infrastructures d’information critiques, ainsi qu’à renforcer la confiance et la sécurité dans l’utilisation des TIC et à lutter efficacement contre la cybercriminalité ». Ces exemples montrent la volonté des acteurs sous-régionaux de faire progresser le continent en matière de numérique et de cybersécurité.
Il serait pertinent pour le Secrétariat Général de la Zlecaf, et pour les États-membres, de prendre en compte ses différentes initiatives afin de bâtir un cadre continental inspiré des meilleures pratiques du continent.
Dans un contexte où les Investissements Directs à l’Étranger (IDE) à destination de l’Afrique ont chuté jusqu’à 40%, la ZLECAf représente une véritable opportunité économique pour les États et opérateurs privés africains. Son marché de 1,27 milliards de consommateurs potentiels pourrait conduire à une augmentation de 3% du Produit Intérieur Brut (PIB) de la plupart des économies africaines selon la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED). Avoisinant depuis quatre ans les 20% – bien plus que la moyenne mondiale – le taux de croissance annuel du nombre d’acheteurs en ligne fait du e-commerce l’un des potentiels vecteurs de cette croissance. Mais pour achever ce plein potentiel, il est crucial de renforcer les infrastructures numériques et de cyberdéfenses du continent – au même titre que le reste.
[1] Réseau informatique faisant partie des réseaux longue distance de plus haut débit d’Internet.
[2] D’après le nom mandingue du fleuve Niger.