Chantage à la romance, désinformation, piratage de compte, harcèlement… La liste des abus sur Internet est longue. Et les réseaux sociaux, espaces dédiés à l’expression libre, et qui se veulent être des lieux de tolérance et de respect, peuvent malheureusement servir à générer beaucoup de nuisances. Certains usages qui en sont fait sont même de nature à porter atteinte à la démocratie. Un constat déplorable que l’on fait de plus en plus dans les réseaux virtuels en Afrique.
Comment lutter efficacement contre la manipulation et les actions frauduleuses sur Internet ? Chez Facebook, Adrien Diarra est chargé de piloter la lutte contre la cybercriminalité pour l’Afrique. Originaire du Mali, M. Diarra est passé par des entreprises prestigieuses telles que Goldman Sachs et Thales. Il estime que la victoire face aux contenus illicites et dommageables sur les réseaux sociaux ne sera possible que si toutes les parties concernées prennent leur responsabilité. Cela passe également par les internautes.
Afrique IT News : En tant que Head of Trust & Safety de l’Afrique chez Facebook, quel est exactement votre rôle et quelles sont vos missions ?
Adrien Diarra : Ma mission en Afrique est très simple. Elle consiste à assurer un environnement plus sûr, et donc de confiance, afin que nos utilisateurs puissent sereinement tirer profit de nos plateformes. Autrement dit, mon but est de faire en sorte que le coût de l’utilisation abusive de nos plateformes soit plus grand que les gains que les acteurs malintentionnés souhaiteraient en tirer. Comment ? En travaillant avec les agences spécialisées dans ce domaine dans plus de 48 pays en Afrique. Vous savez, la question de la sûreté en ligne n’est souvent qu’une extension de ce qu’on voit dans le monde physique. Cependant, elle fut exacerbée par l’impératif du virtuel, surtout avec le Covid, mais aussi par une culture de la sûreté dans le digital moins développée au niveau utilisateur. Les problèmes qui peuvent en découler sont, entre autres, la désinformation, l’usurpation d’identité, les compromissions de comptes, le chantage à la romance, les propos haineux.
AITN : Sur le sujet de la désinformation en particulier, Facebook investit beaucoup en Afrique. Des projets comme Third Party Fact-Checking ont été déployés dernièrement, y a-t-il eu, concrètement, un impact positif ?
AD : Pour mener à bien ce genre de projets, nous veillons à avoir au sein de notre réseau de fact-checkers, des organisations et des personnes qui viennent d’Afrique et qui connaissent le continent. Donc oui, il y a un impact positif.
AITN : Facebook a fermé, l’année dernière, des comptes qui opéraient dans des campagnes de désinformation lors d’élections en Afrique. Beaucoup de fausses informations ont été colportées avec la pandémie du Covid. Est-ce facile de lutter contre tout cela ?
AD : Les comptes malveillants sont un élément essentiel des stratégies de désinformation. Nous nous attelons à les bloquer par milliers, avant même qu’ils ne soient vus par nos utilisateurs. Plus de 80 % de faux comptes ont ainsi été supprimés. C’est la valeur ajoutée de l’IA mais surtout notre expérience croissante à identifier plus rapidement les contextes socio-culturels via nos fact-checkers mais aussi notre équipe de spécialistes en détection de « comportements inauthentiques coordonnés ».
Notre approche consiste également à réduire la propagation de la désinformation virale, à informer notre communauté en lui donnant plus de contexte sur ce qui apparaît sur leur fil d’actualité et à mettre en œuvre notre programme de vérification des informations par des tiers.
AITN : L’Afrique compte plus d’un milliard d’habitants, cela constitue un énorme vivier pour les entreprises comme la vôtre ?
AD : Pour se rendre compte du potentiel du continent, il suffit de se pencher sur les chiffres. Plus de 395 millions de personnes en Afrique utilisent Internet. 70 % d’entre elles y accèdent souvent via Facebook. 60 % de la population africaine a moins de 25 ans, ce qui en fait le continent le plus jeune. Le taux de pénétration de la téléphonie mobile est exponentiel, même si les problèmes de connectivité existent. La pénétration des smartphones était d’environ 26 % en 2019. Cela représente des opportunités immenses de connectivité car la pénétration de l’Internet sur les mobiles reste encore faible.
Par conséquent, comme tout grand acteur dont le but est de connecter les communautés à moindre coût et de manière substantielle, Facebook a élaboré une vision claire pour l’Afrique. Ses équipes chargées de la politique publique et/ou de la connectivité, l’ont souvent rappelé à travers le continent. Dans les grandes lignes, il s’agit d’accroître la connectivité, aider à démocratiser l’accès à une connexion beaucoup plus abordable aux plus modestes, aider les entrepreneurs, développeurs, ONG et les agences gouvernementales à mieux tirer profit de nos plateformes.
Me concernant, tout ceci doit se faire avec une chose en tête : l’éducation à la sûreté digitale de tous. Elle est aussi plus faible en Afrique qu’ailleurs, tout simplement du fait des choix pragmatiques faits au quotidien, reléguant au second plan cette discipline d’hygiène digitale et donc moins prioritaire pour de nombreux pays.
AITN : Comme vous venez de l’évoquer, l’Afrique a besoin de plus de connectivité. Il y a beaucoup de zones blanches sur le continent et les inégalités se ressentent aussi dans l’accès à Internet. Facebook, avec des projets comme 2Africa, veut apporter Internet dans tous les foyers. Où en est l’entreprise ?
AD : La connectivité est le point de départ de cette aventure digitale, et nos équipes en charge de la connectivité ont clarifié nos intentions. Je vous renvoie notamment aux interventions de mon collègue Ibrahima Ba sur le projet 2Africa, qui verra le prix d’Internet baisser considérablement sur le continent à l’horizon 2023-24. Ce projet est imposant, autant par sa taille que par son impact à venir. Ce sont 37 000 kilomètres de fibre optique entourant le continent et débarquant dans pas moins 23 pays d’Europe, Afrique et du Golfe, ainsi que 800 millions de dollars investis.
AITN : L’Afrique, c’est 54 pays et une grande diversité culturelle et ethnique. Concernant les fausses informations et l’intolérance, elles se font aussi dans les langues nationales, comment compte réagir Facebook dans ces cas-là ?
AD : Notre stratégie tient compte de cet aspect dès l’embauche de nos collaborateurs. Comme avec les fact-checkers, nous nous efforçons à avoir dans nos équipes, des personnes aux origines locales, qui connaissent le terrain et qui parlent les différentes langues nationales. Cependant, il faut savoir que l’Afrique compte plus de 2 000 langues locales et nous ne les couvrons pas toutes. En conclusion, il y a encore du chemin à faire même si beaucoup de choses ont déjà été accomplies.
À la fin de l’entretien, Adrien Diarra a tenu à insister sur la question de l’éducation digitale sur le continent africain. Il a souligné l’importance de la sensibilisation, afin de renforcer les connaissances et compétences des populations dans la lutte contre la cybercriminalité. En effet, dans ce combat, les efforts ne conduiront pas à la victoire s’ils viennent uniquement des entreprises de médias sociaux. Adrien Diarra a aussi tenu à soulever la nécessité d’une approche « bottom-up », qui implique une prise de responsabilité de la part des utilisateurs. Ce qu’ils ne réussiront pas à faire s’ils ne sont pas suffisamment éduqués. Une charge qui incombe donc aux pouvoirs publics et à la société civile.